Un jour, une femme : Aloïse Retornaz, ingénieure et marin
A l’occasion de la Journée Mondiale des droits des femmes, nous avons souhaité cette semaine mettre en lumière quelques-uns des talents féminins présents au cœur de l’écurie française Orient Express Racing Team.
Aujourd’hui, la Brestoise Aloise Retornaz qui officie à la fois sur l’AC40 au poste de règleuse et également en tant qu’ingénieure en charge de l’analyse des processus.
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RENCONTRE
Quelles sont vos missions quotidiennes au sein d'Orient Express Racing Team ?
Je suis à la fois marin et ingénieur.
En tant que marin, je suis régleuse sur l'AC40. Ma mission sera de régler les voiles de manière optimale pour faire avancer le bateau le plus vite possible.
En tant qu'ingénieure, je me concentre sur l'analyse des processus avec une approche d'amélioration continue. Cela fait maintenant 8 ans que je travaille dans ce domaine et j'apprécie de pouvoir mettre mon expérience professionnelle au service de mon sport.
Quelles sont les valeurs qui vous animent au quotidien dans votre métier ?
Le dépassement de soi, l'apprentissage et la performance.
Quel message souhaitez-vous faire passer à l'occasion de la Journée internationale de la femme ? Et en particulier pour les jeunes femmes ?
Que les femmes peuvent être qui elles veulent être. Nous devons poursuivre nos rêves avec détermination. Repousser nos limites, oser rêver et se rappeler que chaque succès, petit ou grand, contribue à l'avancement collectif des femmes. Ensemble, nous créons un avenir où l'égalité des sexes est une réalité. Vivez pleinement, rêvez grand !
Ta vision de la place de la femme dans le monde en général, et dans le sport en particulier ?
On voit de moins en moins d’activités genrées en France aujourd’hui. Je ne me suis jamais sentie moins favorisée en tant que femme, même en école d’ingénieurs où j’étais entourée d’hommes. Dans la voile inshore, on assiste à une vraie ouverture. La première Women’s America’s Cup marque un vrai tournant et je suis hyper contente et fière de faire partie de cette aventure. La route est encore longue pour que la Coupe devienne mixte. A nous de montrer que l’on veut en être, que notre niveau peut être égal ou supérieur à celui des hommes, que l’on en est capables et que l’on en envie. Il faut continuer dans cette direction pour arriver à l’égalité. On y est arrivé dans l’olympisme, où il y autant de médailles chez les femmes que chez les hommes. Il faut que l’on se batte pour servir d’exemple aux petites filles, qu’elles se disent en nous voyant qu’elles peuvent être ce qu’elles veulent, être ingénieur, médecin, jouer aux jeux vidéo, faire de stratification ou n’importe quel sport. Il faut enlever les limites que l’on se met pour tendre encore plus vers la mixité, dans le milieu professionnel et dans le sport.
D'où vient votre passion pour la mer ?
Ma passion pour la mer vient de la Bretagne, de mon enfance et de l'influence de mon père qui partage la même passion. Grandir entourée de la beauté de la côte m'a inculqué une profonde connexion avec la mer. Pour moi, la mer a toujours représenté un sentiment de liberté, un sentiment qui m'accompagne au quotidien.
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PORTRAIT
Après une belle carrière olympique couronnée par une médaille de bronze en 470 aux Jeux Olympiques de Tokyo et un passage par SailGP, Aloïse Retornaz sera régleuse à bord de l’AC40 Orient Express – L’Oréal Racing Team pour la Women’s America’s Cup. En parallèle, elle s’investie aussi sur la base du team français pour la mise en place de process.
Originaire de Brest, Aloïse découvre la voile à l’âge de six ans, dans la Rade, sur les traces de ses deux sœurs aînées. « Mes débuts ont été difficiles, dans le froid, le vent et l’humidité. J’étais du genre à avoir peur. Je n’ai pas trop aimé au début, mais mon père m’a beaucoup poussée et j’ai continué ». Le déclic, elle l’a un an après lors d’une compétition en Optimist. « J’ai vraiment accroché avec l’aspect compétition. J’aimais me bagarrer sur l’eau avec les copains, le côté jeu, le stress aussi. J’avais la boule au ventre avant de partir en régate. Ça m’a permis un peu de prendre mon envol car j’étais séparée de mes parents le week-end. On partait en déplacement pour aller jouer sur l’eau et faire la course tous ensemble. L’ambiance était top », se souvient celle qui fait de l’Optimist jusqu’à ses 11 ans avant de passer sur un plus grand support. « J’étais super grande donc après deux ans en Minimes, Maëlenne Lemaître, qui est un peu plus âgée que moi, m’a proposé de naviguer en double avec elle en 29er, avant de passer au 420 un peu moins de deux ans plus tard ».
Mordue de voile, Aloïse n’en oublie pas les études pour autant et entre en Sports Études dès la 5e, toujours à Brest. Bonne élève, ses parents la laissent s’entraîner et régater à côté, ce qui lui permet d’intégrer le Pôle Espoir. En 2004, Faustine Merret vient dans son école avec sa médaille olympique. Aloïse se met à rêver des Jeux Olympiques.
A la fin du lycée, elle est confrontée à un choix : poursuivre le haut niveau ou faire des études. Elle a la chance de pouvoir concilier les deux en entrant à l’ISEN, une école d’ingénieurs. Les résultats continuent de suivre sur le plan sportif avec plusieurs podiums internationaux. Les deux jeunes femmes sont alors détectées par la Fédération Française de Voile, et passent au 470. Après une expérience réussie chez les Jeunes, Aloïse change d’équipage en 2015 avant de s’associer en 2017 à Camille Lecointre, qui souhaitait reprendre la compétition après avoir eu son premier enfant. Championnes d’Europe en 2019, médaillés d’argent aux Jeux mondiaux militaires et vainqueurs de la finale de la finale de la Coupe du monde de voile, elles décrochent le titre de Marin de l’année 2019. Leur préparation olympique, rallongée d’un an à cause du Covid-19, leur permet de travailler ensemble, découvrir leurs points faibles et bien se préparer pour les Jeux Olympiques. Le travail paie puisqu’elles repartent du Japon avec une médaille de bronze autour du cou. « C’était un truc de fou et beaucoup de fierté. Sur le moment, tu ne réalises pas trop car cette médaille, c’est 15 ans de préparation, une spirale qui ne s’arrête jamais, un tourbillon d’émotions avec beaucoup de hauts et de bas, ce qui qui te drive au quotidien. Ce sont des moments de vie hyper forts dont je vais me souvenir toute ma vie. C’était hyper beau de pouvoir la partager avec tous ceux qui me suivaient ». De cette olympiade auréolée de succès, Aloïse garde plein de souvenirs et les anneaux olympiques qu’elle se fait tatouer sur son poignet deux semaines après son retour d’Enoshima, pour que « cette tranche de vie reste gravée ». Mais aussi un gros bagage sportif et technique. « Ça m’a surtout appris la persévérance, à ne jamais baisser les bras. J’ai vécu des variations d’émotions assez intenses avec des gros pics d’endorphine, des moments durs et de doutes. On fait aussi forcément beaucoup de sacrifices. Quand on fait une préparation olympique, il faut vraiment s’accrocher, ne rien lâcher et réussir à trouver un équilibre. C’est important d’avoir des moments où l’on profite. J’aime bien sociabiliser, voir du monde. Je suis contente d’avoir partagé plein d’aventures et de vacances avec des copains d’origine différentes au bout du monde, d’avoir pu découvrir d’autres cultures, d’autres manières de s’entraîner », détaille-t-elle, précisant que l’essentiel est de « surtout savoir être professionnelle et respecter l’autre quand on navigue en double, sans avoir besoin d’être meilleures amies ».
En parallèle, elle passe les premières sélections pour le Women’s Pathway Program de SailGP. Retenue, elle ne rentre pas dans le programme d’emblée de jeu pour se concentrer sur les Jeux mais navigue à bord du F50 du France SailGP Team à Chicago en juin 2022. Un Sail Grand Prix dont elle se souviendra toute sa vie. « C’était hyper impressionnant niveau vitesse. C’est comme naviguer sur une Formule 1. SailGP m’a beaucoup appris niveau format de course. L’organisation et la logistique sont démesurées par rapport à l’olympisme, avec de grosses équipes techniques. Il faut apprendre à déléguer tout en essayant de maîtriser le maximum de paramètres possibles, et accepter de pas savoir tout sur tout. La répartition des tâches est très stricte. Il faut essayer de faire de son mieux dans le peu de temps imparti. J’ai beaucoup appris ». Malheureusement, le quota de femmes dans chaque team passe de trois à deux et Aloïse ne poursuit pas l’aventure. Un coup dur même si à côté, elle se prépare pour Paris 2024 avec Hippolyte Machetti, cette fois.
Loin de se laisser abattre, Aloïse commence à rêver d’America’s Cup, son second rêve de gosse après les Jeux. « La semaine où j’ai appris que le règlement de SailGP changeait, j’ai regardé un documentaire sur Netflix sur la Coupe gagnée par les Australiens en 1983. Ça m’a remis des étoiles dans les yeux ». Après avoir échangé avec Stephan Kandler, elle se lance à la recherche d’un sponsor pour l’équipe féminine avec Paola Amar en vue de la Women’s America’s Cup. Le succès est au rendez-vous puisqu’elles réussissent à convaincre L’Oréal d’embarquer dans l’aventure. Sélectionnée en décembre dernier, la jeune trentenaire, qui a mis un terme à sa préparation olympique en juillet dernier, son partenaire ayant souhaité arrêter pour raisons personnelles, fait désormais partie de l’Orient Express – L’Oréal Racing Team. « Je vais travailler pour avoir ma place à bord et tout faire pour remporter cette première Women’s America’s Cup. Tout le monde aura sa chance vu que l’on se battra à armes égales ». Son rêve : voir un jour des équipages mixtes à bord des AC75 ou des futurs bateaux de la Coupe, la dimension physique étant moins prépondérante aujourd’hui. A côté, Aloïse continue d’engranger de l’expérience sur bateaux volants. La jeune femme, qui a fait l’acquisition d’un WASZP, navigue aussi en GC32, ET26 et en 69F. Elle remplace également une équipière blessée de septembre à novembre dernier en Nacra 17.
Si sa carrière est bien remplie sur le plan sportif, Aloïse a fait le choix de travailler chez Arkea à côté grâce à un contrat aménagé pour sportifs de haut niveau. « C’est important pour moi, en cas blessure mais pas que. Ça me soulage d’avoir quelque chose à côté. Je continue mon projet sportif parce que j’ai envie et que ça me fait rêver, pas parce que je n’ai pas le choix. Ça m’apporte de la sérénité et un équilibre, et ça me permet de voir autre chose. Les sportifs sont souvent autocentrés sur eux, leur corps, la performance. C’est intéressant de mettre un pied dans le monde réel, de vivre plus simplement et aussi de gagner sa vie à côté ». Ingénieur dans le service informatique à ses débuts, elle officie désormais une cinquantaine de jours par an au sein du service communication de la banque, fortement présente dans le sponsoring sportif, en voile notamment. « C’est hyper intéressant car j’utilise mes compétences d’ingénieur dans la voile et le sponsoring, que j’ai appris dans la voile, dans mon travail ».
Quand elle ne travaille pas et ne navigue pas, Aloïse, qui s’est installée à Barcelone, fait « pas mal de sports de glisse dont de la wing et des sports outdoor » et aime « passer du temps avec les copains et voyager ».
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ALOISE ET L’AMERICA’S CUP
Ce que l’America’s Cup représente pour elle : « Un rêve de gosse, d’une petite fille qui ne voyait pas de femmes à bord »
Un souvenir précis de l’America’s Cup : « Le jour où ils ont annoncé une Women’s America’s Cup. »